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#1 19 Sep, 2011 10:15:50

Kinkgirl

Je vais vous expliquer comment c’est arrivé, même si ce qu’il reste de mes mains commence à se figer. Tout a débuté au mois de mai, quand les pommiers laissent apparaître sur leurs branches leurs premières fleurs blanches. Mon péché mignon se trouve dans cet arbre, à l’intérieur de ce qu’il produit : la pomme.

Tous les soirs, il me plaisait de retirer les pépins de ce fruit et de les faire craquer sous ma dent. J’aimais sentir l’écorce se briser sous la pression rageuse de mon émail. C’était devenu le rituel, le T.O.C sans échappatoire possible. Je coupais ma pomme en quatre parts égales, en ôtais les pépins, puis mangeais les quatre quarts. Ainsi, j’évidais chaque jour deux à trois pommes du sac que j’avais acheté. Une fois toutes mangées, il me restait une centaine de pépins à grignoter devant la télévision ou en lisant un bon livre. Il m’arrivait souvent de m’en mettre plein la bouche, même si le plaisir était plus grossier. Je pense que c’est lors d’un de ces « rituels » que le miracle se produisit. Enfin le « miracle », façon de parler. De toute manière, on est toujours puni par là où on a péché, chaque plaisir conduisant indubitablement au déplaisir. Je ne me suis jamais penché sur cette phrase jusqu’à aujourd’hui. Elle doit être vraie dans certaines circonstances. Au moment où je pose les mots, la phrase semble correcte et je vais vous expliquer pourquoi : donc, j’avais une dizaine de pépins dans la bouche que je croquais rageusement un à un. Tout à coup, l’un d’eux se coinça dans mon palais et je dus me racler la gorge pour le faire sortir de la cavité où il avait cru bon se loger. Entre-temps, un autre pépin, plus malicieux, en profita pour se glisser intact dans mon œsophage, puis tomber finalement dans le “ marais putride ” de mon estomac. Seulement, au lieu d’être dissout par les sucs digestifs et d’accepter bêtement une fin inéluctable, cet imbécile a montré une incroyable résistance et est parvenu à s’accrocher aux parois, échappant à ce qui aurait dû être sa fin, c’est-à-dire intestin grêle, gros intestin et cuvette. Mais il y a toujours des petits malins, même chez les pépins.

Celui qui s’est appuyé sur le rebord de mon estomac, je vais l’appeler « Le Bref ». Pour ce qu’il m’a fait, il mérite bien un nom. Il m’a tellement emmerdé. Oui, je dois arrêter d’être grossier, mais ça fait du bien, parfois, de déverser quelques insanités, surtout quand on est énervé comme je le suis en ce moment. Je suis figé comme un imbécile dans le salon et je me suis enfin décidé à prendre du papier et un crayon afin de conter mon histoire. Il faut signaler que mes bras ont dû prendre deux mètres, ce qui m’a permis de réaliser une petite prouesse technique, c’est-à-dire de ne pas avoir à me déplacer pour attraper ce qui ne se trouve pas habituellement à ma portée.

J’étais quand même quelqu’un de respecté. J’étais notaire. Les gens courbent l’échine devant ma fonction, même si par derrière ils se répandent en quolibets acides. En général, le notaire est assimilé à l’escroc. Je ne crois pas faire partie de la majorité puisque je suis resté quelqu’un de foncièrement honnête. Peut-être certaines fois suis-je un peu las et je laisse traîner les choses, mais je ne rafle jamais d’argent, n’accepte aucun dessous de table, aucune collusion.

Deux rendez-vous m’attendaient aujourd’hui. Deux héritiers à recevoir et quelques paperasses à remplir pour que de nombreuses gens puissent recevoir de l’argent des ventes de terrain ou de mobilier. Le droit m’avait toujours profondément ennuyé, mais pas les gens que je recevais maintenant. Mon travail ne m’intéressait pas mais j’adorais voir toutes ces têtes d’idiots avides attendant qu’on leur annonce la bonne nouvelle du chiffre dont leur compte en banque allait désormais se parer. C’était surtout les riches qui arboraient de belles têtes éplorées par la perte du proche jusqu’à ce que leurs yeux se mettent à pétiller à l’annonce de la somme dont ils héritaient. Leurs lèvres se retenaient alors difficilement d’esquisser un sourire, ce qui ridait affreusement leurs commissures.

Bon, donc j’allais arriver au bureau, quand une excroissance se développa au niveau de mon ventre. Une tige rigide transperça mon tee-shirt, ma chemise et mon pull et se dressa tel un pic horizontal quand je pénétrai dans l’immeuble où se trouvait mon lieu de travail. La tige était une excroissance de chair qui finit par retomber mollement jusqu’à heurter le sol. De grosses gouttes de sueur irritèrent ma peau et mon corps fut ébranlé par une peur panique qui s’exprima par une soudaine faiblesse et quelques tremblements.

Cachant mon excroissance grâce au manteau, je m’engouffrai dans la voiture et rentrai chez moi. Là j’appelai Marie-Madeleine (quelle idée d’avoir un prénom pareil), ma secrétaire, et lui demandai d’annuler tous mes rendez-vous prétextant une forte fièvre. Puis je contactai le Docteur Courtelin, un ami, qui vint immédiatement à la rescousse, abandonnant ses clients qui devaient pourtant déjà s’ébrouer dans la salle d’attente. Il pénétra en trombe dans mon appartement et constata le phénomène une fois que je fus torse nu.

- Comment c’est arrivé ? demanda-t-il.

- Inopinément, répondis-je. C’est apparu comme ça et vlan ! C’est retombé aussi sec.

- C’est douloureux ?

- Heureusement que non. C’est grave ou pas ?

- Si tu ne souffres pas... Il faudrait procéder à une ablation de la... chose.

Quand Courtelin se décida à tâter le « truc », lui et moi poussâmes un cri : l’excroissance de chair venait de se dresser et quelle ne fut pas notre surprise quand la peau se mit à tomber comme une mue laissant apparaître une belle branche en bois couverte de feuilles encore humides.

- Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? soliloqua Courtelin.

- Putain ! Débarrasse-moi de ça, criai-je à nouveau saisi par la panique.

- J’y comprends rien à ton machin là. J’ai jamais vu une chose pareille. Je dois appeler quelques collègues.

Courtelin examina la peau, puis l’origine de l’excroissance.

- As-tu une scie ? demanda-t-il.

- Tu trouveras ça à la cave, répondis-je.

Prenant mes clés, il se rua hors de l’appartement. Il revint avec la scie et je remarquai alors ses yeux luisants et l’esquisse de sourire sur son visage. Mauvais ça, pensai-je. Il mit la scie à deux centimètres du début de l’excroissance et apposa les dents sur le bois. J’avais comme l’impression qu’il allait me sectionner le sexe ou la tête, au choix, et mon impression ne se démentit pas quand il commença à scier. Je me mis à hurler comme un dément, ce qui interrompit immédiatement son mouvement. La branche avait à peine été effleurée, mais je hurlais parce que je souffrais.

Affolé, Courtelin appela les urgences et je fus évacué jusqu’à l’hôpital le plus proche. Là, le chirurgien ne put que constater de mon cas. Heureusement, la branche touchée avait rapidement guéri, le bois s’étant ressoudé, la sève ayant coulé sur la plaie en un baume cicatrisant qui s’était solidifié. Je n’avais plus mal. Mais quand le chirurgien touchait à ma branche, je criais, prêt à mordre.

- On va vous garder en observation, avait-il dit en se frottant la barbe, perplexe.

C’est le lendemain que les journalistes sont arrivés. Par je ne sais quelle fuite, on avait prévenu ces charognards qui étaient venus voir le « phénomène ». Ils me tourmentèrent pendant des heures, faisant crépiter leurs flashs, m’assaillant de questions. Moi, comme un benêt, voulant donner une bonne image du notariat français, je souriais et répondais gentiment, mais ils s’en fichaient. Tout ce qu’ils voulaient c’était faire leurs choux gras de mon cas. Je voyais déjà çà :

AMEDEE SIRUP, L’HOMME AU SEXE DE BOIS.

Ou encore :

SIRUP OU SI TU NE VIENS PAS A LA FORÊT, LA FORÊT VIENDRA A TOI

Bande de salopards. Ce que j’avais imaginé n’était pas vraiment loin de la vérité. Quand la deuxième excroissance me sortit par le haut du crâne, je passai un scanner. Visiblement, les branches avaient leur source dans mon estomac. Une graine avait germé à l’intérieur de moi, qui plus est, après analyse de la branche, une graine de pommier. Je me voyais déjà en train de cueillir mes fruits rien qu’en tendant la main.

- On dirait qu’une symbiose s’est opérée entre vous et cet arbre, dit le chirurgien. Vous êtes un cas unique.

- Vais-je devoir affronter une nouvelle cohorte de journalistes ? demandai-je.

- Ça vous dérange si Laurence vient ?

- Quoi Laurence ?

- Oui, Laurence Mazeratti, la présentatrice vedette. C’est une amie.

Je suis parti le lendemain. Le docteur aurait sans doute voulu me garder pour m’étudier encore et appeler ma maladie de son nom. Je n’avais pas mal de toute façon et après tout, cela n’était pas bien grave comparé à tous ces gens qui crevaient dans les hôpitaux dans d’abominables souffrances. J’avais demandé à Marie-Madeleine de faire des courses pour deux semaines ce qu’elle s’était expressément exécuté de faire.

Mes branches étaient en fleurs et une troisième sortait de mon flanc droit. Marie-Madeleine arriva et cachant son dégoût ne s’attarda pas trop, posant les commissions sur la table du salon. Elle était déjà passée me voir à l’hôpital et avait manqué de défaillir. Aujourd’hui, elle évitait soigneusement de me regarder. Elle me demanda quand même si je venais au bureau demain, mais je lui dis que je n’avais pas l’intention de reprendre mon travail tant que ma « maladie » perdurerait. L’idiote aurait dû s’en douter. Les fleurs de pommier se répandaient maintenant sur la moquette et je devais prendre garde à ne pas plier les branches dans mon lit. Si l’une d’elles cassait, j’étais persuadé de souffrir le martyr. Je me souvenais de la douleur que j’avais ressentie quand Courtelin avait frôlé l’une de mes pousses avec cette maudite scie.

Je me mis à suer abondamment mais cela faisait du bien à mon corps et à mon symbiote (ou mon parasite, je ne sais plus). Le moment où ça devint plus difficile, c’est quand la quatrième branche apparut, sortant au niveau du coccyx. J’eus alors l’envie inextinguible de plonger mes pieds dans un bac d’eau. Je crois que la sueur qui sortait de tous mes pores épuisait mes réserves internes de liquide.

Je ne savais plus ce que j’étais maintenant : je ne savais pas si j’avais été destiné à être un arbre plutôt qu’un humain. Peut-être que cela faisait parti d’un cycle naturel. Quelque chose que mes parents m’avaient cachée quand j’étais jeune, comme on cache le plus longtemps possible que le Père Noël n’existe pas ou que la petite souris ne passe pas sous l’oreiller. Bah ! Après tout ça ne m’angoissait pas plus que ça de devenir une forme arborescente. Non, en fait je ne ressentais plus le stress qui triturait mon ventre au début. Je ne pensais qu’à respirer calmement. Respirer : inspirer et expirer. Quel bonheur de n’être destiné qu’à cela. Etendre peu à peu son territoire au gré de sa croissance. Bien que j’aimasse rester les pieds plantés dans mon bain, j’éprouvais encore le besoin de manger. Je devais rester debout sous peine de casser une de mes branches. Aussi, j’appréhendais le moment où j’aurais sommeil. Je regardais le temps s’égrener doucement, les bras ballants, les pieds trempés dans le bassin. Que faire d’autre ? Il suffisait d’attendre. L’horloge émettait son lancinant balancement, les aiguilles poursuivaient leur marche incessante. Le téléphone sonna de nombreuses fois : peut-être était-ce l’hôpital qui voulait que je revienne, mon médecin souhaitant devenir célèbre grâce à mon cas, obtenant enfin son nom au panthéon de la médecine. Ou alors l’Etat, informé de mon cas, avait-il décidé de me supprimer pensant avoir affaire à une nouvelle maladie contagieuse. Il y avait peut-être dehors des snipers prêts à m’abattre…

Mais tout cela n’est que spéculation. Ce que je raconte est ennuyeux en fait, vraiment ennuyeux à mon niveau. Il n’y a rien à dire sur ma mutation, sur le symbiote qui s’est emparé de moi, faisant de ma personne le centre d’une expérience étrange. Je me demande si la nature n’a pas enfin trouvé le moyen de se débarrasser de l’homme en fusionnant avec lui. Je suis peut-être le premier spécimen à vivre malgré moi cette expérience d’une bizarrerie sans faille.

A mon réveil, mon sommeil s’étant déroulé debout, j’ai attendu la nuit avant de me rendre au parc public avec ce que sont devenus mes pieds, transformés en racines filandreuses. Je suis bien décidé à rejoindre le parc même si ces racines me font souffrir à chaque fois que je les écrase sur l’asphalte. Enfin, l’herbe douce se fait jour. Je me plante là avec mon carnet et mon crayon, puis je continue à écrire sur ce qui m’est arrivé ces derniers jours tant que je peux encore bouger les doigts et que je parviens à esquisser des lettres. Evidemment c’est difficile mais c’est ce qui me permet de garder encore une part d’humanité, puisque ma peau mute peu à peu en une écorce rigide ce qui rend les mouvements ardus voire impossibles dans certaines zones comme la bouche ou le sexe, qui se dresse maintenant tout auréolé de fleurs et de feuilles...

Il y a deux jours un oiseau est venu se poser sur une de mes branches et il s’est mis à picorer une pomme. Au moment où celle-ci a chuté, je n’ai pas ressenti de souffrance, seulement un sentiment de perte. J’ai attendu longtemps avant que quelqu’un vienne me regarder et s’interroge sur l’incongruité de ma présence dans le parc. J’ai cru au départ qu’il allait avertir les gens concernés mais finalement il s’est contenté de cueillir une dizaine de mes fruits puis il est reparti en courant. Je n’ai pas été surpris de le voir une semaine après, transformé de la même façon que moi, venir se planter à quelques mètres de l’endroit où je repose. Mes craintes se confirment : nous sommes envahis d’une façon peu commune par les graines de pommes qui s’emparent de notre corps pour en faire leur demeure d’où elles pourront croître et s’épanouir. Maintenant que je me penche sur la question, un nom me vient : Hakteron. La fin de l’humanité est proche mais la terre va retrouver sa splendeur originelle, à moins que… Argh ! Les voilà… Ils ne veulent même pas m’observer, me comprendre, eux et leur tronçonneuse...

Propos recueillis dans une poubelle.


¤¤ Lisez et votez parfaitement Imperfect sur Amilova ! ¤¤

Genre : sexy, adultes, action, super-héros, thriller.

#2 19 Sep, 2011 12:46:25

valdé

aha vraiment pas mal, un peu exagéré mais franchement bien vu, vision de l'apocalypse totalement nouvelle ^^ et j'aime le coté "journal de decompte final" smile


Valdé, auteur, gaulois, mangeur de nutella♥ et tueur de moustiques smile

#3 18 Nov, 2011 16:58:12

Bugg-Badiie

loll alors ça c'etait puissant , sa avait un coter horrible et un coter drole c'etait etrange pour au final trouver une explication a la futur extinction humaine. tres bien trouver. meme si a mon avis faut etre deranger pour faire une histoire d'une idée qui a sans doute tous traverser notre esprit "la graine qui pousse dans l'estomac". respect !

#4 18 Nov, 2011 17:16:14

Asclepios

J'aime bien. J'ai eu l'impression de relire le Horla mais avec de l'humour.

Last edited by Asclepios (18 Nov, 2011 17:23:08)


sexe sans sentiments n'est que ruine de l'âme ♥♥♥

Je n'aime pas les plokes

#5 18 Nov, 2011 17:52:38

abby19

Waou! Vraiment excellent!

Je n'ai pas décroché jusqu'à la fin! On plonge vraiment dans la vie de cet homme et sans trop savoir pourquoi, on est vraiment captivé par ce qu'il devient, se demandant comment il va finir.

Je suis désolé, cette critique est vraiment loin d'être constructive! smile


"Un baiser ça peut être mortel si on y met tout son cœur" Batman, le défi
"La vie ne vaut pas la peine d'être vécue si on ne la vit pas comme un rêve" Le monde ne suffit pas

#6 18 Nov, 2011 18:28:27

Bugg-Badiie

sa m'a fait penser a "la mouche" (j'ai etait tromatiser pas ce film)

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